Bob Dylan, "Chroniques" citation 2# Changement

« J’en avais encore pour quelques années avant de débarquer au pays du Soleil. Mon regard se perdait dans la pièce, j’ai jeté un coup d’œil vers la fenêtre, et j’ai vu que la nuit tombait. Il y avait une bonne épaisseur de glace de long de la rampe de l’escalier de secours. J’ai scruté la ruelle, le toit des immeubles, un gratte-ciel, puis un autre. Il recommençait à neiger, couche de blanc sur couche de ciment. Poser les fondations d’une nouvelle vie ? Ca n’en avait pas l’air du tout. Pour commencer, je n’avais pas vraiment rompu avec la précédente. Avant tout, je voulais bien discerner les choses, pour m’en libérer ensuite. J’avais besoin d’apprendre à réduire les faits, les idées. Il était impossible de tout appréhender en même temps – c’était comme les livres dans la bibliothèque, il y en avait trop d’ouverts à la fois. Mais, à condition de bien comprendre, on pouvait peut-être tout condenser dans un seul paragraphe, un seul couplet.

On sait parfois qu’une situation doit changer, qu’on y vient, mais il s’agit au plus d’une sensation – comme dans la chanson de Sam Cooke, A Change Is Gonna Come. Cela n’est pas prémédité ou résolu. Il y a seulement certains présages, qu’on peut identifier ou non. Puis, brusquement, quelque chose survient, très vite, et vous sautez dans un autre monde, inconnu, dont vous avez pourtant une compréhension instinctive – vous êtes libérés. Pas besoin de poser de questions, vous savez où vous êtes. Ca paraît rapide, magique, mais il n’en est rien. Il n’y a pas eu de roulement de rambour, vous n’avez pas subitement ouvert les yeux, l’esprit en alerte, sûr de vous. C’est plus lent, plus progressif. Comme lorsque l’on a l’habitude de travailler à la lumière du jour, et qu’on voit soudain la nuit tomber plus tôt – peu importe où on se trouve, on n’y changera rien. C’est une prise de conscience. Quelqu’un tient le miroir au-dessus de la porte, on déverrouille celle-ci, on vous pousse à l’intérieur et il faut vous habituer au nouveau décor. Parfois aussi, il faut certaines personnes pour arriver là. »